Dimanche 2 août : homélie de Père André et note catéchétique

Multiplication des pains (Mt 14,14-22)
Dans cet événement qui se produit en un lieu désert, la distribution miraculeuse est précédée par un dialogue entre le Christ et les Apôtres, qui sont d’abord inquiets, se demandant comment nourrir cette foule à l’approche du soir. Le Sauveur leur déclare : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (14,16) et les apôtres ne savent comment obéir à cette injonction ; restant sur un plan humain, ils répondent : « Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons » (14,17). Ils ont d’ailleurs déjà fait remarquer que l’endroit où ils se trouvent est désert.
Dans son commentaire de cet épisode, Saint Jean Chrysostome analyse en détails ce que dit le Sauveur : « Donnez-leur vous-mêmes… » et non « Je leur donnerai… ». Ce sont les disciples qui distribuent le pain, mais c’est le Christ qui, miraculeusement, va faire en sorte qu’il y ait assez de nourriture pour que tous soient rassasiés malgré leur grand nombre, comme le fait remarquer l’Évangéliste (14,20-21). C’est donc bien une multiplication, non un simple un partage de la petite quantité disponible au départ.
Saint Jean Chrysostome insiste encore sur la toute puissance du Sauveur, ainsi : « Si ce lieu est désert, il ne l’est point pour Celui qui nourrit toute la terre, et si l’heure est déjà passée, Celui qui vous parle n’est sujet ni aux heures ni au temps ». Ces circonstances ne sont donc pas un empêchement pour Celui qui tient tout, d’agir pour le bien de ses créatures.
En déclarant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », Dieu sollicite la collaboration des hommes à son œuvre de salut. Étant créature de Dieu, l’être humain, ne peut rien donner de lui-même : toute nourriture, procurant notre maintien en vie, est obtenue moyennant un effort, mais surtout en prenant conscience du fait que toute nourriture et tout bienfait nous viennent de notre Dieu Créateur. Dans la tradition juive, on ne prend pas de nourriture sans prononcer une bénédiction, où l’homme pieux reconnaît que ce bienfait lui vient de Dieu, Créateur de toutes choses. C’est ce qu’accomplit également ici le Christ, « levant les yeux au ciel » et prononçant une bénédiction avant de faire distribuer le pain (14,19). Le chrétien en fait autant lorsqu’avant de manger, il trace le signe de la Croix sur lui-même et sur les aliments, demandant à Dieu de bénir cette nourriture qu’il n’a pu fabriquer lui-même, et reconnaissant qu’elle lui vient de Dieu.
Il est très important pour les chrétiens de prendre conscience, à partir de cet épisode, du fait que notre nourriture, ni notre vie, ne dépendent de nous ni de nos seuls efforts, mais de Dieu, car même en plein désert Dieu est à même de subvenir à tous nos besoins. Lorsque nous ressentons un manque, non seulement de nourriture, mais de bonté envers autrui, de constance, d’attention à Dieu et aux autres, cette prise de conscience nous incite à demander à Dieu de bien vouloir combler nos manques. Le véritable désert en effet n’est pas d’abord un lieu où rien ne pousse, mais une situation où l’on est sans Dieu. Même dans une telle situation, il n’est pas exclu de demander à Dieu son secours : Dieu ne manquera pas de répondre à notre prière et de nous accorder encore les moyens de secourir aussi notre entourage.
« Donnez-leur vous-mêmes… » : voilà ce qui est demandé aux apôtres dans cet épisode, et voilà aussi la vocation de tout chrétien, car ce que nous ne pouvons donner de nous-mêmes à nos proches, à ceux qui nous entourent, soyons certains que c’est de la part de Dieu que nous le transmettrons, comme l’ont fait les apôtres qui ont obéi avec confiance en distribuant le pain, puisque le Sauveur le leur avait demandé. En obéissant, ils ont accepté le miracle qui les dépasse, et qui nous dépasse. Soyons assurés, par ce récit, que si nous acceptons de donner, Dieu multipliera aussi ce que nous donnerons : de la nourriture, mais aussi notre temps ou nos forces. De même, chaque fois que quelqu’un nous donne quelque chose, il convient de se souvenir que cela nous vient de Dieu qui a permis que tel bienfait parvienne jusqu’à nous, parfois de manière inhabituelle ou inattendue.
Il y a aussi un lien mystérieux entre les récits évangéliques de multiplication des pains et un autre repas qui surviendra plus tard : le dernier repas que le Sauveur partagera avec ses douze Apôtres avant son arrestation, pour instituer ce que les chrétiens appellent l’Eucharistie. Au cours de cette première multiplication des pains, les cinq mille personnes ont reçu une nourriture qui n’était pas le Corps du Christ. Mais cette multiplication des pains annonce la future Eucharistie, le grand Mystère dont la célébration, même plus de 2000 ans après, permet aux chrétiens de continuer à recevoir le Corps du Christ, et même de constituer ce Corps, nourrissant leur entourage avec les bienfaits qui ne viennent pas d’eux-mêmes, mais de Dieu.
Le parallèle entre la multiplication des pains et l’Institution de l’Eucharistie se laisse voir dans le texte par les mots employés : dans les deux cas, Jésus prit du pain, le bénit (ou pria, rendit grâces), rompit le pain et le donna (14,19). Ces mêmes quatre actions du Sauveur se retrouvent dans d’autres récits évangéliques de multiplication des pains (Mt 15,36 ; v. aussi Mc 6,41 ; 8,6 ; Lc 9,19 et Jn 6,11), et aussi dans le déroulement de la célébration eucharistique : on prépare du pain d’une certaine manière avant de l’apporter solennellement sur l’autel au cours de la grande entrée qui conclut cette préparation, puis le président de l’assemblée, évêque ou prêtre, prononce au nom de tous la grande prière d’action de grâces, récapitulant toute l’œuvre de salut ; le Pain devenu Corps du Christ par l’action de l’Esprit Saint, est ensuite rompu en parcelles et distribué.
Ce miracle de multiplication des pains annonce ainsi le grand miracle eucharistique, car le Corps du Christ ne s’épuise jamais, et il nous est demandé, à nous chrétiens, de perpétuer le repas eucharistique jusqu’au retour du Christ à la fin des temps, comme en témoigne Saint Paul : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’Il vienne » (I Cor 11,26).
Dans tous les aspects de notre vie, nous recevons, puis donnons des richesses qui ne nous appartiennent pas, mais qui nous viennent de Dieu, et lorsque nous recevons quelque chose de nos proches, de même nous reconnaissons que cela vient de Dieu. Car nous ne pouvons donner à Dieu, ni à notre prochain, rien d’autre que ce qui provient de Dieu. Prendre conscience du fait que tout nous vient de Dieu est le début de notre chemin vers Lui ; cette prise de conscience peut commencer grâce aux richesses que nous apporte ce récit de multiplication des pains, pour aboutir dans l’Eucharistie qui récapitule tous les bienfaits reçus de Dieu. Notre chemin vers Dieu se déroule sur cette terre dans l’Église, pour parvenir vers la préparation du Royaume dans lequel nous sommes déjà invités et qui n’aura pas de fin. Amen.

Note catéchétique : offrande, ou anaphore
« Ce qui est Tien, de ce qui est Tien, nous Te l’offrons… »
L’épisode évangélique de la multiplication des pains nous apprend donc que Dieu nous demande de donner, voire de nous donner, mais aussi que nous ne pouvons rien donner de nous-mêmes : tout nous vient de Dieu. Nous ne pouvons donner que ce que nous avons reçu, et nous ne serons en état de donner quelque chose aux autres que dans la mesure où nous prendrons conscience de notre complète dépendance par rapport à Dieu, notre Créateur.
Cette attitude se récapitule et trouve son accomplissement ultime dans la célébration eucharistique, et plus précisément dans le geste d’élévation qui se situe dans la grande prière d’action de grâces. C’est d’ailleurs elle qui a donné son nom à la célébration elle-même, car on y remercie Dieu pour tous les bienfaits accordés. Certes, nous offrons bien un peu de pain et de vin mêlé d’eau, soigneusement préparés, nous donnons aussi de nos forces, de notre disponibilité et un peu de notre temps lorsque nous rejoignons l’assemblée eucharistique. Mais tout cela nous est accordé par Dieu, jusqu’à notre vie elle-même. Et lorsqu’au nom de toute l’assemblée le président accomplit le geste d’élever les Saints Dons, il proclame : « Nous T’offrons ce qui est Tien, de ce qui est Tien… », autrement dit, nous ne pouvons offrir à Dieu que Dieu Lui-même, sous cette forme des Saints Dons qui vont devenir son Corps et son Sang, puisque tout nous vient de Dieu.
L’Eucharistie ne se limite pas à cette célébration, mais elle a pour vocation, ou fonction, de nous convaincre toujours plus que par son sacrifice sur la croix, étroitement lié à la Résurrection, ainsi commémoré et rendu actuel, Dieu a rempli l’univers de Lui-même. Ainsi, plus nous remercierons Dieu, Lui rendant grâces pour tout bienfait reçu, plus aussi nous pourrons donner et propager ces richesses reçues de Dieu, et ainsi remplir notre vocation qui, selon Saint Paul, est de rendre grâces en tout temps et pour toutes choses (v. Eph 5,20), autrement dit d’avoir une attitude eucharistique non seulement lors de la Divine Liturgie, mais en tous les aspects de notre vie.

Lectures de ce dimanche (pas de célébration à Saint-Nicolas) : http://toulouse-orthodoxe.com/dimanche-2-aout-pas-de-celebration/