Message de Père André – Dimanche de la Samaritaine

Dimanche de la Samaritaine

Même si nos messages homilétiques restent le plus souvent centrés sur l’Évangile du jour, un petit détour vaut la peine, en l’occurrence, du côté de l’Épître, où il arrive que l’on trouve des points communs avec le passage choisi de l’Évangile.

Ce dimanche, l’épisode tiré des Actes des Apôtres raconte une dispersion des premiers chrétiens hors de Jérusalem suite après persécution et lapidation de Saint Étienne, le premier martyr chrétien. Cette dispersion est l’occasion pour les Apôtres de prêcher hors de Palestine ; certains d’entre eux ne s’adressent qu’aux Juifs, mais d’autres élargissent le cercle de leurs destinataires et le texte précise que « la main du Seigneur les secondait et un grand nombre, ayant cru, se tournèrent (ou se convertirent) au Seigneur » (Actes 11,21). Cette approbation montre le caractère universel de la Résurrection du Christ, ayant produit des bienfaits qui concernent toute l’humanité.

Dans l’Évangile du jour également, une traversée de la Samarie fournit au Sauveur l’occasion de dépasser les usages établis de l’époque. Il S’entretient avec une femme, ce qui déjà n’était pas courant, voire mal vu, et de plus une Samaritaine ; le texte prend le soin de préciser : « les Juifs en effet ne parlaient pas aux Samaritains » (Jean 4,9). On voit ici l’absolue liberté du Sauveur, comme Dieu, et en même temps la puissance de son amour qui amène peu à peu la conversion de la personne à qui Il s’adresse.

La Samaritaine est d’abord étonnée, voire méfiante, et leur entretien commence par une incompréhension sur l’eau, entre celle du puits, que le Sauveur demande, et « l’eau vive » que d’autre part Il propose, une eau d’un autre ordre, celle d’une vie avec Dieu où toutes les soifs, tous les besoins de l’être humain sont remis à leur juste place, sans dérèglement, et comblés par Dieu Lui-même. Telle est en effet la vocation que Dieu a conféré à sa créature humaine : le combler de tous les biens.

La suite du récit montre que la Samaritaine découvre que le Seigneur est un prophète (4,19), elle Lui fait confiance et le Sauveur Se déclare Lui-même à elle comme étant le Messie (4,26) ; une déclaration aussi directe est rare dans les Évangiles. Et sans attendre, la Samaritaine, convertie, se fait évangélisatrice, elle court à la ville pour annoncer aux habitants le Christ (4,28-29) ; ceux-ci, qui attendaient visiblement sa venue, accourent aussitôt vers le Sauveur. On peut relever dans ce récit le cheminement de la Samaritaine qui après des questions finit par adhérer au Christ, puis par L’annoncer ; la Tradition l’identifie d’ailleurs avec une la sainte Martyre Photine (ou Claire, fêtée le 20 mars). On voit également la puissance et la liberté du Sauveur, qui n’hésite pas à braver des conventions qui interdisaient à certaines catégories de personnes de parler entre elles. Loin d’une provocation, le Sauveur exerce sa miséricorde envers tous, y compris, s’agissant des Samaritains, ceux qui avaient mauvaise réputation pour des raisons religieuses. Commençant par le peuple élu et Jérusalem, le Sauveur dès son parcours terrestre, et sans attendre la Résurrection, anticipe le caractère universel de son message et nous donne quelques signes, encore discrets, de cette universalité qui parfois nous dépasse.

Ce cheminement de la Samaritaine, à qui le Messie Se déclare ouvertement, est celui de tout chrétien, car autant chaque personne adhère au Christ, autant par sa vie elle Le proclame, comme l’a fait la Samaritaine aussitôt qu’elle fut convaincue de la divinité de Celui qui le premier lui adressa la parole pour demander de l’eau. La réaction de la Samaritaine devenue évangélisatrice montre que l’adhésion au Christ produit en chaque personne un certain effet intérieur, non forcément spectaculaire, mais qui tôt ou tard se manifeste, à condition que chacune et chacun soit attentif à ce qui lui manque encore pour se convertir au Christ comme véritable et unique Dieu et Sauveur ressuscité, et qui sans attendre nous ressuscite chaque jour et à chaque instant de notre vie. Au Messie ressuscité revient toute gloire, ensemble avec son Père éternel et son Esprit très Saint, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles.

Amen.

Sur le lieu où il convient d’adorer Dieu

Lorsque la Samaritaine, identifiant son interlocuteur comme Juif, relève les différences entre ceux qui adorent Dieu à Jérusalem et leurs pères, qui adorent sur la montagne située en Samarie, le Sauveur lui répond : « ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer » (Jean 4, 29). Cette modification radicale des usages religieux de l’époque dépasse l’attachement du véritable culte à un lieu précis, car depuis la venue et la Résurrection du Christ, Dieu est adoré en tout lieu. Dans une homélie commentant ce passage, Saint Jean Chrysostome confirme ce dépassement du lieu : « il y aura un changement, non seulement de lieu, mais encore dans la manière de rendre le culte », et le prédicateur précise un peu plus loin que ce changement désigne l’Église : « Par ce nom de ‘vrais adorateurs’, Jésus-Christ entend l’Eglise, qui est elle-même une vraie adoration, et un culte digne de Dieu. (…) Qui sont-ils donc, les vrais adorateurs? Ce sont ceux qui n’enferment point le culte dans un lieu… ». (Homélie 33 sur Jean)

Dans une autre homélie, Saint Jean Chrysostome commente ainsi le Sacrifice du Christ sur la Croix :

« …il choisit un lieu élevé d’où il ne soit pas dominé par un toit, mais par le ciel seul. L’air était purifié, puisque l’Agneau était immolé en haut lieu, la terre l’était également, car elle était arrosée par le sang qui coulait de son côté. (…) Ce fut en dehors de la ville et des murailles, pour nous apprendre que c’était un sacrifice universel, une oblation pour la terre entière; enfin, une purification générale…. Nous pouvons prier en tout lieu depuis que le Christ par sa venue a purifié l’univers » (Homélie 1 sur la Croix et le Larron)

Le Christ a marché sur la terre et l’a arrosée, depuis la Croix, de son Sang, et ainsi c’est toute la terre qui a été sanctifiée, transformée en un temple pour la gloire de Dieu. L’attachement à tel ou tel lieu, comme Jérusalem, se trouve dépassé, car si tel n’avait pas été le cas, les chrétiens n’auraient pas pu construire des églises ou lieux de culte ailleurs que là où le Christ a effectivement marché. Mais l’universalité de la Croix et de la Résurrection fait que tout lieu peut être sanctifié si nous le voulons, un peu comme l’eau bénite en un lieu devient sainte comme celle du Jourdain, où est descendu le Christ. La véritable adoration se fait par notre prière, et la véritable liturgie est célébrée avant tout sur l’autel de notre cœur : notre fréquentation du culte ne sera rien sans ce sacrifice intérieur, que petit à petit nous apprenons à approfondir en nous-mêmes, pour mieux nous retrouver en communauté. La vie quotidienne dans les monastères nous apprend que leur emploi du temps est constitué par une certaine alternance entre des temps des prières personnelles et des rassemblements en communauté dans le lieu du culte, et que la vie spirituelle a besoin des deux.

Il est indispensable d’avoir des lieux de culte, car l’assemblée doit être constituée, mais leur fonction, comme bâtiments et par leur aménagement, est de faire que par notre implication dans une vie en Dieu, nous parvenions peu à peu, par-delà notre indignité, à sanctifier la terre entière, et non les seuls murs d’un bâtiment. Mais plutôt que sanctifier par nos propres forces, par notre action à l’extérieur, nous actualisons la sanctification accomplie par le Sauveur une fois pour toutes, car son Sacrifice dépasse tous les lieux et tous les temps. Le véritable temple est le corps de l’homme, selon Saint Paul (I Cor 6,19), et les constructions de nos églises sont une projection de ce qui se passe dans notre cœur où depuis notre baptême réside la grâce divine agissante. Voilà comment il nous est possible d’actualiser, chacun selon nos forces, le dépassement des lieux annoncé à la Samaritaine par le Sauveur.