Samedi 16 avril 2022 – Message de Père André pour le Samedi de Lazare

Lectures du jour : Hb 12,28-13,8 ; Jn 11,1-45

En ce jour, veille du dimanche de l’Entrée du Seigneur à Jérusalem, l’Église commémore un grand miracle accompli par le Christ, lorsqu’Il a ressuscité Lazare, mort et mis au tombeau depuis quatre jours. Ce samedi marque aussi la conclusion du Carême, « quarantaine profitable pour l’âme », selon l’expression trouvée dans une hymne chantée dès le vendredi matin, et reprise le soir. Il y est demandé de voir aussi la Passion du Seigneur. Les éléments ascétiques, tels que jeûne ou prosternations, seront maintenus au début de la Grande Semaine qui va suivre, mais avec un autre sens, davantage lié aux événements de la Passion.

Dans la semaine qui a précédé ce samedi, certaines hymnes liturgiques ont inclus, en plus des thèmes ascétiques habituels, des allusions à la maladie, puis à la mort de Lazare, quatre jours avant. On y accompagne le Sauveur se préparant à aller vers Béthanie, car étant Dieu, Il connaissait à l’avance les événements et savait ce qu’Il allait accomplir.

Les hymnes liturgiques du vendredi soir et du samedi matin commentent abondamment l’événement raconté dans l’Évangile de Saint Jean, qui sera lu à la Divine Liturgie du samedi. Mais plus qu’une simple reprise du récit évangélique, l’action du Sauveur y est souvent interprétée comme voulant manifester sa toute-puissance divine. Il suffit au Christ de crier : « Lazare, sors ! » pour qu’aussitôt l’enfer libère celui qu’il tenait prisonnier.

Conformément au récit évangélique, les hymnes insistent aussi sur la réalité de cette mort de Lazare, dont le corps est déjà en décomposition (Jn 11,39). Ce réalisme met en valeur l’entière liberté et la puissance du Christ Vainqueur, comme Dieu. Selon le tropaire du jour, chanté au début des Matines, et qui sera repris le lendemain, le Sauveur, en ressuscitant un seul être humain, voulait fonder la foi de toute l’humanité en la résurrection commune.

Arrivé au tombeau de Lazare, avant d’en demander l’ouverture, le Christ pleure (Jn 11,35). Ces larmes sont interprétées comme celles d’un homme qui comme chacun pleure un ami disparu (par exemple dans le canon des Complies, composé par St André de Crète au 8e siècle), mais ce sont aussi les larmes du Dieu-homme, pleurant sur le manque de foi de ceux qui ne confessaient pas sa toute-puissance divine.

Selon l’expression du Père Alexandre Schmemann, « c’est l’Homme-Dieu que nous voyons pleurer », ce qui est plus qu’une simple peine humaine, elle aussi légitime et assumée par Dieu (voir à ce sujet : Le mystère pascal. Commentaires liturgiques, Bellefontaine, 1974, p. 13, et tout le chapitre ; voir aussi : C. ANDRONIKOF, Le cycle pascal. Le sens des fêtes II, Lausanne, Paris, 1985, p. 136-138). À travers ces larmes sur son ami Lazare, le Sauveur assume toutes les peines passées et futures des humains, en particulier lors de la disparition d’un être cher.

Depuis cette ressuscitation de Lazare, qui commence à ébranler les enfers, toute mort ou tout décès sont transformés en un sommeil provisoire, même si le délai peut nous en sembler long. En S’incarnant, le Sauveur a pris sur Lui tous nos péchés, mais aussi toutes nos peines. Ainsi les larmes de Marthe et Marie sont transformées en joie par cet événement ; ce thème est relevé à plusieurs reprises dans les textes de la fête.

La ressuscitation de Lazare déclenche des réactions de ceux qui ont côtoyé le Christ sans reconnaître ni sa divinité ni sa toute-puissance. Ne voulant pas admettre le miracle, les incrédules vont en effet s’endurcir et aller jusqu’à condamner finalement le Christ à être crucifié (voir canon dans les Complies).

Tels sont les principaux thèmes développés dans les textes de la fête, et trop brièvement évoqués ici par rapport à leur richesse doctrinale. Il convient de relever aussi quelques particularités liturgiques dans la structure des Matines de ce samedi. Leur déroulement est ordinaire, dépourvu d’une lecture de l’Évangile, mais des éléments spécialement dominicaux y sont introduits en l’honneur de la Résurrection, en particulier par exemple :

  • les versets psalmiques avec refrain « Le Seigneur est Dieu et Il nous est apparu… » (Ps 117,27), expression traditionnellement utilisée comme annonce liturgique de la Résurrection, et qui autrefois était réservée aux fêtes, avant une extension vers son utilisation quasi-quotidienne hors Carême ;
  • les strophes dites eulogétaires, avec pour refrain « Tu es béni, Seigneur, enseigne-moi tes jugements » (Ps 118,12), relatant la visite des femmes au Tombeau trouvé vide, et dont l’emploi est réservé au dimanche, et au Grand Samedi ;
  • l’hymne pascale « Ayant contemplé la Résurrection du Christ… », juste avant le Ps 50, employée presque chaque dimanche après l’Évangile des Matines, et chaque jour en temps pascal.

Le lendemain, dimanche des Rameaux, l’Église célèbre l’Entrée du Seigneur à Jérusalem, et comme pour toutes les grandes fêtes du Seigneur, aucun élément dominical n’est présent ce jour-là. Le même tropaire se retrouve le samedi de Lazare et le dimanche des Rameaux, ce qui souligne l’unité entre ces deux événements majeurs de l’œuvre divine du salut. En ressuscitant Lazare, le Sauveur a ébranlé l’enfer, et par son entrée à Jérusalem, Il inaugure le Royaume de Dieu, dont la durée semble éphémère sur cette terre, mais depuis lors ce Royaume est réellement en marche vers sa manifestation finale.

La parenté liturgique est forte entre ce samedi de Lazare et le Grand Samedi, jour de sabbat où le Sauveur descendra Lui-même aux enfers pour en anéantir définitivement la puissance et permettre à chaque personne humaine de réaliser sa vocation première, une vie en Dieu ressuscité. Les humains vivant encore sur cette terre sont depuis lors dans l’attente du transfert de cette vie vers l’attente d’une vie éternelle. Avec le juste Lazare, gage de la Résurrection universelle annoncée, chaque personne est en effet associée, encore discrètement mais réellement, à la victoire du Sauveur sur toute forme de séparation et de mort. La mort est désormais provisoire, car transformée en un sommeil, dans l’attente de l’ultime manifestation du Royaume de Dieu qui n’aura pas de fin.