Dimanche 12 avril 2020 – des Rameaux

Dimanche 12 avril 2020.

(30 mars dans l’ancien calendrier.)

Dimanche des Rameaux (ou des Palmes) :

Entrée de notre Seigneur à Jérusalem.

 

Synaxaire de ce dimanche

Ce dimanche des Rameaux, nous célébrons la fête brillante et glorieuse de l’entrée à Jérusalem de notre Seigneur Jésus Christ. Pour accueillir l’entrée du Christ, les enfants jetèrent sous ses pas leurs vêtements, ainsi que des branches de palmier qu’ils avaient coupées ; d’autres, tenant les branches en main, criaient en Lui faisant cortège : « Hosanna au Fils de David ; béni soit le Roi d’Israël qui vient au Nom du seigneur ! » C’est l’Esprit Saint qui les inspirait. Par les rameaux, ils symbolisèrent la victoire du Christ sur la mort ; car c’était la coutume d’honorer les vainqueurs des luttes aussi bien que des guerres, avec des rameaux d’arbres à feuilles persistantes et de les accompagner ainsi dans les processions de triomphe. A propos de cette fête, le Prophète Zacharie a dit dans l’Ancien Testament : « Sois transportée d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici, ton Roi vient à toi ; Il est le Juste et le Sauveur, Il est humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse » (Zach. 9, 9). Et David, dans ses Psaumes, dit à propos des enfants : « Dans la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu as mis une louange » (Psaume 8, 3). Pendant ce temps, les grands prêtres avaient en vue de de le faire mourir.

Péricopes de ce dimanche

Lecture de l’épître de saint Paul aux Philippiens (4, 4-9)

Frères, réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps ; je vous le répète, réjouissez-vous ! Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. N’entretenez aucun souci, mais en toute circonstance exposez vos requêtes à Dieu, recourant à la prière et à l’oraison, dans l’action de grâces. Alors la paix de Dieu, qui surpasse tout esprit, prendra sous sa garde vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. En conclusion, mes Frères, tout ce qu’il y a de vrai et de noble, tout ce qu’il y a de juste et de pur, tout ce qui est digne d’être aimé et d’être honoré, tout ce qui s’appelle vertu et mérite des éloges, voilà ce dont il faut vous préoccuper. Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu de moi, mettez-le en pratique. Alors le Dieu de la paix sera avec vous !

Радуйтесь всегда в Господе; и еще говорю: радуйтесь. Кротость ваша да будет известна всем человекам. Господь близко. Не заботьтесь ни о чем, но всегда в молитве и прошении с благодарением открывайте свои желания пред Богом, и мир Божий, который превыше всякого ума, соблюдет сердца ваши и помышления ваши во Христе Иисусе. Наконец, братия мои, что только истинно, что честно, что справедливо, что чисто, что любезно, что достославно, что только добродетель и похвала, о том помышляйте. Чему вы научились, что приняли и слышали, и видели во мне, то исполняйте, – и Бог мира будет с вами.

Lecture de l’Évangile selon saint Jean (Jean 12, 1-18)

En ce temps-là, six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où habitait Lazare, que Jésus avait réveillé d’entre les morts. Là, on lui prépara un repas. Marthe faisait le service, et Lazare était un de ceux qui étaient attablés avec Jésus. Alors, Marie, prenant une livre de parfum très pur et d’un grand prix, oignit les pieds de Jésus et lui essuya les pieds avec ses cheveux, et la maison s’emplit du parfum de la myrrhe. Mais Judas l’Iscariote, un de ses disciples, qui allait le livrer, dit : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu cette myrrhe trois cents deniers pour les donner aux pauvres ? » Il dit cela, non parce qu’il se souciait des pauvres, mais parce qu’il était un voleur et que, comme il tenait la bourse commune, il détournait ce qu’on y mettait. Jésus dit alors : « Laisse-la ; elle a gardé cela pour le jour de mon ensevelissement, car, les pauvres, vous les avez toujours avec vous, mais, moi, vous ne m’avez pas pour toujours. » Une foule nombreuse de Judéens sut qu’Il était là et vint, non seulement à cause de Jésus, mais pour voir Lazare qu’Il avait réveillé d’entre les morts. Les grands prêtres décidèrent alors de tuer aussi Lazare, car, à cause de lui, beaucoup de Judéens s’en allaient et croyaient en Jésus. Le lendemain, la foule nombreuse qui était venue pour la fête, entendant que Jésus venait à Jérusalem, prit les rameaux des palmiers et sortit à sa rencontre, et elle criait : « Hosanna ! Béni, celui qui vient au Nom du Seigneur, le roi d’Israël ! » Trouvant un petit âne, Jésus s’assit dessus, comme il est écrit : « Ne crains pas, fille de Sion, voici que vient ton roi, assis sur le poulain d’une ânesse. » D’abord, ses disciples ne le comprirent pas ; mais, une fois Jésus glorifié, alors ils se rappelèrent que, ce qui avait été écrit de lui, c’est cela même qu’ils avaient fait pour lui. La foule rendait témoignage, elle qui était avec lui quand il avait appelé Lazare hors du tombeau et l’avait réveillé d’entre les morts. C’est pourquoi la foule vint à sa rencontre, parce qu’elle avait entendu qu’Il avait fait ce signe.

За шесть дней до Пасхи пришел Иисус в Вифанию, где был Лазарь умерший, которого Он воскресил из мертвых. Там приготовили Ему вечерю, и Марфа служила, и Лазарь был одним из возлежавших с Ним. Мария же, взяв фунт нардового чистого драгоценного мира, помазала ноги Иисуса и отерла волосами своими ноги Его; и дом наполнился благоуханием от мира. Тогда один из учеников Его, Иуда Симонов Искариот, который хотел предать Его, сказал: Для чего бы не продать это миро за триста динариев и не раздать нищим? Сказал же он это не потому, чтобы заботился о нищих, но потому что был вор. Он имел при себе денежный ящик и носил, что туда опускали. Иисус же сказал: оставьте ее; она сберегла это на день погребения Моего. Ибо нищих всегда имеете с собою, а Меня не всегда. Многие из Иудеев узнали, что Он там, и пришли не только для Иисуса, но чтобы видеть и Лазаря, которого Он воскресил из мертвых. Первосвященники же положили убить и Лазаря, потому что ради него многие из Иудеев приходили и веровали в Иисуса. На другой день множество народа, пришедшего на праздник, услышав, что Иисус идет в Иерусалим, взяли пальмовые ветви, вышли навстречу Ему и восклицали: осанна! благословен грядущий во имя Господне, Царь Израилев! Иисус же, найдя молодого осла, сел на него, как написано: Не бойся, дщерь Сионова! се, Царь твой грядет, сидя на молодом осле. Ученики Его сперва не поняли этого; но когда прославился Иисус, тогда вспомнили, что та́к было о Нем написано, и это сделали Ему. Народ, бывший с Ним прежде, свидетельствовал, что Он вызвал из гроба Лазаря и воскресил его из мертвых. Потому и встретил Его народ, ибо слышал, что Он сотворил это чудо.

Paroles des Pères

L’entrée solennelle dans la sainte cité fut, dans la vie de Jésus, son seul triomphe visible : jusque-là, il avait volontairement repoussé toute tentative d’être glorifié, et ce n’est que six jours avant la Pâque que non seulement il accepta volontiers, mais provoqua même l’événement. En accomplissant à la lettre ce qu’avait dit le prophète Zacharie : « Voici ton roi qui vient, assis sur un ânon… » (Zac. 9, 9), il a montré clairement qu’Il voulait être reconnu et acclamé comme Messie, Roi et Sauveur d’Israël. (…)  Mais quel en est le sens pour nous, aujourd’hui ? Nous proclamons tout d’abord que le Christ est notre Roi et notre Seigneur. Trop souvent nous oublions que le Royaume de Dieu a été inauguré, qu’au jour de notre baptême nous en avons été faits citoyens, et que nous avons promis de placer notre fidélité à ce Royaume au-dessus de toute autre. (…) A partir de cette heure, le Royaume est révélé au monde et sa présence juge et transforme l’histoire humaine. Et lorsque au moment le plus solennel de la célébration liturgique, nous recevons une palme de la main du prêtre, nous renouvelons notre serment à notre Roi et nous confessons que son Royaume est l’unique but de notre vie, la seule chose qui lui donne son sens. (…) Pourtant, nous le savons, le Roi que les Juifs acclament aujourd’hui, et nous avec eux, s’achemine vers le Golgotha, vers la croix et vers le tombeau. Nous savons que ce court triomphe n’est que le prologue de son sacrifice. Les palmes dans nos mains signifient, dès lors, notre empressement à le suivre sur le chemin du sacrifice, notre acceptation du sacrifice et notre renoncement à nous-mêmes, dans lequel nous reconnaissons l’unique voie royale qui mène au Royaume.

Et finalement, ces palmes, cette célébration, proclament notre foi en la victoire finale du Christ. Son Royaume est encore caché et le monde l’ignore. Il vit comme si l’événement décisif n’avait jamais eu lieu, comme si Dieu n’était pas mort sur la croix et comme si, en lui, l’homme n’était pas ressuscité d’entre les morts. Mais nous, chrétiens, nous croyons en la venue de ce Royaume où Dieu sera tout en tous, et où le Christ apparaîtra comme seul Roi. Les célébrations liturgiques nous rappellent des événements passés ; mais tout le sens et toute la vertu de la liturgie consistent précisément à transformer le souvenir en réalité. En ce dimanche des Palmes, la réalité dont il s’agit, c’est notre propre implication dans le Royaume de Dieu, c’est notre responsabilité à son égard. (…) Ce qu’il attend de nous, c’est un réel accueil du Royaume qu’Il nous a apporté… Et si nous ne sommes pas prêts à être totalement fidèles au serment que nous renouvelons chaque année, le dimanche des Palmes, si vraiment nous ne sommes pas décidés à faire du Royaume la charte de toute notre vie, alors vaine est notre célébration, vaines et sans signification sont les palmes que nous rapportons de l’église chez nous.

– Alexandre Schmemann, Le Mystère Pascal, commentaires liturgiques.

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Dès le premier jour de la semaine-sainte, nous devons « recevoir » Jésus-Christ et accepter comme souveraine sa volonté sur nous. Cet accueil fait au Christ qui vient à nous est le sens du Dimanche des Rameaux. […]

Essayons maintenant de recueillir quelques-uns des enseignements de ce dimanche.

« Voici que ton Roi vient à toi… » Jésus vient aujourd’hui à nous comme notre roi. Il est plus que le Maître instruisant ses disciples. Il réclame de nous que nous acceptions en toutes choses sa volonté et que nous renoncions à nos désirs propres. Il vient à nous pour prendre solennellement possession de notre âme, pour être intronisé dans notre cœur.

« A toi… » C’est non seulement vers l’humanité en général que Jésus vient. Il vient vers chacun de nous en particulier. « Ton Roi… » Jésus veut être mon roi. Il est le roi de chacun de nous dans un sens unique, entièrement personnel et exceptionnel. Il demande une adhésion, une obéissance intérieures et intimes.

Ce roi est « humble ». Il vient à nous sur un pauvre animal, symbole d’humilité et de douceur. Un jour il reviendra dans sa gloire pour juger le monde. Mais aujourd’hui il écarte tout appareil de majesté ou de puissance.
Il ne demande aucun royaume visible. Il ne veut régner que sur nos cœurs : « Mon fils, donne-moi ton cœur. » […]

« Les gens, en très grande foule étendirent leurs manteaux sur le chemin… » Jetons aux pieds de Jésus nos vêtements, nos possessions, notre sécurité, nos biens extérieurs, et aussi nos fausses apparences et par-dessus tout nos idées, nos désirs, nos sentiments. Que le roi triomphant foule à ses pieds tout ce qui est à nous. Que tout ce qui nous est précieux lui soit soumis et offert.

La foule criait : « Hosanna, Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Si je suis capable de prononcer cette phrase en toute sincérité et en toute soumission, si elle exprime un élan de tout mon être vers le Roi que désormais j’accepte, je me suis, à cette seconde même, détourné de mes péchés et j’ ai reçu en moi Jésus Christ. Qu’il soit donc bienvenu et béni, celui qui vient à moi.

– Père Lev Gillet, L’an de grâce du Seigneur.

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S’Il n’était pas chair, qui pleurait au tombeau de Lazare ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui ordonna au mort de quatre jours de sortir ?

S’Il n’était pas chair, qui s’assit sur l’ânon ? Et s’Il n’était pas Dieu, à la rencontre de qui la foule sortit avec gloire ?

S’Il n’était pas chair, qui les Juifs saisirent-ils ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui commanda à la terre et les jeta face contre terre ?

S’Il n’était pas chair, qui reçut un soufflet ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui guérit l’oreille coupée par Pierre et la remit à sa place ?

S’Il n’était pas chair, le visage de qui reçut-il des crachats ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui souffla sur les apôtres pour qu’ils reçoivent le saint Esprit ?

S’Il n’était pas chair, qui se présenta devant Pilate dans le prétoire ? Et s’Il n’était pas Dieu, de qui la femme de Pilate eut-elle peur en songe ?

S’Il n’était pas chair, les vêtements de qui les soldats ont-ils enlevés et partagés ? Et s’Il n’était pas Dieu, comment le soleil s’obscurcit-il au moment de la crucifixion ?

S’Il n’était pas chair, qui était pendu sur la Croix ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui fit trembler la terre de tous ses fondements ?

S’Il n’était pas chair, les mains et les pieds de qui les clous ont-ils transpercés ? Et s’Il n’était pas Dieu, comment le voile du temple se déchira t-il ? Comment les rochers se fendirent-ils et les sépulcres s’ouvrirent-ils ?

S’Il n’était pas chair, qui s’écria : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné » ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui dit : « Père, pardonne-leur » ?

S’Il n’était pas chair, qui était pendu sur la Croix avec les larrons ? Et s’Il n’était pas Dieu, comment dit-Il au larron : « Aujourd’hui tu seras avec moi au paradis ?

S’Il n’était pas chair, à qui offrirent-ils du vinaigre et du fiel ? Et s’Il n’était pas Dieu, en entendant la voix de qui l’enfer s’effraya-t-il ?

S’Il n’était pas chair le côté de qui la lance a-t-elle piqué, en faisant jaillir du sang et de l’eau ? Et s’Il n’était pas Dieu, qui brisa les portes de l’enfer et en rompit les liens, et à l’ordre de qui les morts enfermés en sortirent ?

S’Il n’était pas chair, qui les apôtres virent-ils dans la chambre haute ? Et s’Il n’était pas Dieu, comment entra-t-Il les portes fermées ?

S’Il n’était pas chair, la marque des clous dans les mains et celle de la lance dans le côté, et que Thomas toucha, à qui étaient-elles ? Et s’Il n’était pas Dieu, à qui s’écria-t-il : « Mon Seigneur et mon Dieu » ?

S’Il n’était pas chair, qui mangea sur les bords du lac de Tibériade ? Et s’Il n’était pas Dieu, à l’ordre de qui le filet se remplit-il de poissons ?

S’Il n’était pas chair, qui les anges et les apôtres virent-ils monter au ciel ? Et s’Il n’était pas Dieu, pour qui le ciel s’ouvrit-il, qui les Puissances adorèrent-elles avec crainte, et pour qui le Père avait-Il dit : « Siège à ma droite, etc… » (Ps 109,1) ?

S’Il n’était pas Dieu et chair, notre salut est donc un mensonge, mensonge aussi alors la voix des prophètes. Mais ce qu’ont dit les prophètes s’est réalisé, et leurs témoignages sont vrais

– Saint Ephrem le Syrien, Homélie sur la divine Transfiguration de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

Saints célébrés ce dimanche selon le nouveau calendrier

Saint Basile, évêque de Parion, confesseur (VIIIème s.) ; saint Zenon, évêque de Vérone (vers 370) ; saint Constantin, évêque de Gap (456) ; saint Florentin, abbé à Arles (553) ; saint Tétrice, évêque d’Auxerre, martyr (707) ; saints vénérables martyrs Ménas, David et Jean (VIIème s.) ; saint Erkembode, évêque de Thérouanne (742) ; sainte Anthouse, vierge (801) ; sainte Athanase, higoumène (860) ; saint Basile, évêque de Riazan (1295).

Extrait du Synaxaire du hiéromoine Macaire selon le nouveau calendrier

Saint Basile vécut au temps de la persécution de Léon l’Arménien (813-820) contre les saintes icônes. Élu évêque de Parion, en Hellespont, à cause de ses vertus, il refusa de se soumettre aux pressions des agents de l’empereur et passa tout le reste de sa vie en exil, fuyant de lieu en lieu pour y défendre la tradition des saints Pères. Il mourut en paix et remporta au ciel la couronne des confesseurs de la foi.

Saints célébrés ce dimanche selon l’ancien calendrier

Saint Jean Climaque, abbé du Mont Sinaï (VIIème s.) ; saints apôtres Sosthène, Apollos, Céphas, César, Épaphrodite (Ier s.) ; saint Joad, prophète ; sainte Eubulie, mère de saint Pantéleimon (vers 303) ; saint Rieul, évêque de Senlis (IIIème s.) ; saint Mamertin, abbé à Auxerre (462) ; saint Jean, ascète en Arménie (VIème s.) ; saint Zosime, évêque de Syracuse (vers 662) ; saint Sophrone, évêque d’Irkoutsk (1771).

Extrait du Synaxaire du hiéromoine Macaire selon l’ancien calendrier

Cet homme divin naquit vraisemblablement vers la fin du VIe siècle ; mais on ignore tout de sa patrie et de ses origines, car dès le début de son renoncement, il prit grand soin de vivre en étranger. « L’exil volontaire, écrit-il, est la séparation de toute chose pour rendre notre pensée inséparable de Dieu » (III, 3). On sait seulement que, dès l’âge de seize ans, après avoir acquis une solide formation intellectuelle, il renonça à tous les attraits de cette vie de vanité, par amour de Dieu, et se rendit au Mont Sinaï, au pied de cette montagne sainte où Dieu avait autrefois révélé sa gloire à Moïse, et il s’offrit d’un cœur ardent au Seigneur comme un holocauste d’agréable odeur.

Repoussant dès son entrée dans le stade de la vertu toute confiance en lui-même et toute complaisance par une humilité sans feinte, il se soumit corps et âme à un ancien, nommé Martyrios, qui demeurait dans une cellule non loin du monastère, et s’engagea, libre de tout souci, dans l’ascension de cette échelle spirituelle (klimax) au sommet de laquelle Dieu se tenait et l’engageait à ajouter « jour après jour, feu sur feu, ferveur sur ferveur, désir sur désir et zèle sur zèle » (I, 46). Il regardait son pasteur comme l’icône vivante du Christ (cf. IV, 29) et, convaincu que celui-ci devrait rendre compte pour lui devant Dieu (IV, 55), il n’avait qu’un seul souci : celui de rejeter sa volonté propre et de « renoncer à tout discernement par plénitude de discernement » (IV, 3), de sorte qu’il n’y avait aucun intervalle de temps entre les ordres que Martyrios lui donnait, même apparemment sans raison, et l’obéissance de son disciple. Malgré cette parfaite soumission, Martyrios le garda néanmoins quatre ans dans l’état de novice et ne le tonsura qu’à l’âge de vingt ans, après avoir éprouvé son humilité. Un des moines présents ce jour-là, nommé Stratège, prédit que ce nouveau moine était appelé à devenir un jour un des grands luminaires du monde. Lorsque, par la suite, Martyrios et son disciple rendirent visite à Jean le Sabaïte, un des plus fameux ascètes de ce temps, celui-ci, négligeant l’Ancien, alla laver les pieds de Jean. Après leur départ, il déclara qu’il ne connaissait pas ce jeune moine, mais que, sous l’inspiration du Saint-Esprit, il avait lavé les pieds à l’higoumène du Sinaï. La même prophétie fut confirmée par le grand Anastase le Sinaïte [21 av,], chez lequel ils s’étaient également rendus.

Malgré sa jeunesse, Jean montrait la maturité d’un vieillard et un grand discernement. C’est ainsi qu’un jour, alors qu’il avait été envoyé dans le monde pour une mission et se trouvait à table avec des séculiers, il préféra céder un peu à la vaine gloire, en mangeant fort peu, plutôt qu’à la gourmandise ; car de deux maux, il vaut mieux préférer celui qui est le moins dangereux pour les nouveaux venus dans la vie monastique (XXVI, 53).

Il passa ainsi dix-neuf ans dans la bienheureuse insouciance que procure l’obéissance, débarrassé de tout combat par la prière de son père spirituel et naviguant sans danger, comme en dormant, vers le port de l’impassibilité (cf. IV, 3). À la mort de Martyrios, il résolut de poursuivre dans la solitude son ascension, genre de vie qui ne convient qu’au petit nombre de ceux qui, affermis sur la pierre de l’humilité, s’éloignent des hommes afin de n’être pas un moment privés de la suavité de Dieu (XXVII, 29). Il ne s’était pas engagé dans cette voie pleine d’embûches en se confiant à son propre jugement, mais sur les recommandations d’un saint vieillard, Georges Arsilaïte, qui l’avait instruit du genre de vie propre aux hésychastes. Il choisit comme terrain d’exercice un lieu solitaire, appelé Thola (aujourd’hui Wadi el-Tlah), situé à cinq milles du grand monastère, où d’autres ermites demeuraient non loin les uns des autres. Il y resta pendant quarante ans, consumé par un amour de Dieu sans cesse croissant, sans souci pour sa propre chair, libre de tout contact avec les hommes, n’ayant pour seule occupation que la prière sans relâche et la vigilance sur son cœur, en vue de « circonscrire l’incorporel dans une demeure corporelle » (XXVII, 7), tel un ange revêtu d’un corps.

Il mangeait de tout ce que permet la profession monastique, mais en très petite quantité, domptant ainsi la tyrannie de la chair sans offrir de prétexte à la vaine gloire. Par la solitude et la retraite, il avait mis à mort la fournaise du désir d’accumuler, qui, sous prétexte de charité et d’hospitalité, entraîne les moines négligents à la gourmandise, la porte de toutes les passions (XIV, 38), et à l’amour de l’argent, fille du manque de foi et adoration des idoles (XVI, 2). De l’acédie, cette mort de l’âme qui assaille en particulier les hésychastes (XIII, 4), et du relâchement, il triomphait par le souvenir de la mort (XVII, 6) ; et par la méditation des biens promis il brisait le lien de la tristesse. Il ne connaissait qu’une seule tristesse : cette « affliction qui procure la joie » et nous fait courir avec ardeur sur le chemin du repentir (VII), et qui purifie l’âme de toutes ses souillures.

Que lui restait-il pour parvenir à l’impassibilité (apatheia) ? La colère, il l’avait vaincue depuis longtemps par le glaive de l’obéissance. La vaine gloire, cette épine à trois pointes, qui se tient toujours dressée contre les combattants de la piété, et qui se mêle à toutes les vertus comme une sangsue (XXI, 5), il l’avait étouffée par la réclusion et plus encore par le silence. Et, pour prix de ses labeurs, qu’il assaisonnait toujours du blâme de soi, le Seigneur lui avait accordé la reine des vertus, la sainte et précieuse humilité : « cette grâce ineffable dans l’âme, ce trésor, dont le nom n’est connu que par ceux qui l’ont appris par expérience, et qui porte le Nom de Dieu Lui-même (Mt 11, 29) » (XXV, 3).

Comme sa cellule était trop proche des autres, il se retirait souvent dans une grotte éloignée, au pied de la montagne, et il en faisait l’antichambre du ciel par ses gémissements et les larmes qui coulaient de ses yeux, comme une source abondante, sans effort, et transfiguraient son corps en une robe nuptiale (VII, 8, 44). Par l’effet de cette bienheureuse affliction et de ces larmes continuelles, il vivait chaque jour comme une fête (VII, 41) et gardait la prière perpétuelle dans son cœur devenu semblable à une forteresse inviolable aux assauts des pensées. Il lui arrivait parfois d’être ravi en esprit au milieu des chœurs angéliques, sans savoir s’il était en son corps ou hors de son corps, et avec grande liberté il demandait alors à Dieu de l’instruire sur les mystères de la théologie (XXVII, 48). Lorsqu’il sortait de la fournaise de la prière, il se sentait tantôt purifié comme par le feu, tantôt tout resplendissant de lumière (XXVIII, 54). Quant au sommeil, il ne lui accordait que la mesure nécessaire pour garder son esprit vigilant dans la prière et, avant de s’endormir, il priait longtemps ou écrivait sur des tablettes le fruit de ses méditations des Écritures inspirées.

Malgré le grand soin qu’il prit, pendant toutes ces années, de garder ses vertus cachées aux yeux des hommes, lorsque Dieu jugea que le temps était venu pour lui de transmettre aux autres la lumière qu’il avait acquise pour l’édification de l’Église, Il porta vers Jean un jeune moine, nommé Moïse, qui, grâce à l’intervention des autres ascètes, parvint à fléchir la résistance de l’homme de Dieu et à se faire admettre comme son disciple. Un jour que Moïse était allé chercher au loin de la terre pour leur petit jardin et qu’il s’était allongé sous un gros rocher pour la sieste, Jean reçut dans sa cellule la révélation que son disciple était en danger. Il saisit aussitôt l’arme de la prière, et quand Moïse revint, le soir venu, il lui raconta que dans son sommeil il avait soudain entendu la voix de son Ancien l’appeler, au moment même où le rocher se détachait et menaçait de l’écraser.

La prière de Jean avait aussi le pouvoir de guérir les blessures visibles et invisibles. C’est ainsi qu’il délivra un moine du démon de la luxure qui l’avait poussé au découragement. Une autre fois, il fit tomber la pluie. Mais c’était surtout par le charisme de l’enseignement spirituel que Dieu manifestait en lui sa grâce. Se fondant sur son expérience personnelle, il instruisait libéralement tous ceux qui venaient le trouver, sur les embûches qui guettent les moines dans leur combat contre leurs passions et contre le Prince de ce monde. Cet enseignement spirituel suscita toutefois la jalousie de certains, qui répandirent alors contre lui des calomnies, le traitant de bavard et de vaniteux. Bien qu’il eût la conscience en paix, Jean ne chercha pas à se justifier et, pour enlever tout prétexte à ceux qui en cherchaient un, il arrêta pendant une année entière le flot de ses enseignements, convaincu qu’il valait mieux porter un léger préjudice aux amis du bien plutôt que d’exacerber le ressentiment des méchants. Tous les habitants du désert furent édifiés par son silence et par cette preuve d’humilité, et ce ne fut que sur les instances de ses propres calomniateurs repentants qu’il accepta de recevoir à nouveau des visiteurs.

Comblé de toutes les vertus de l’action et de la contemplation, et parvenu au sommet de l’échelle sainte par la victoire sur toutes les passions du vieil homme, Jean rayonnait comme un astre sur la péninsule du Sinaï et était admiré par tous les moines. Il ne s’en estimait pas moins encore un débutant et, avide de recueillir des exemples de conduite évangélique, il entreprit un voyage dans divers monastères d’Égypte. Il visita en particulier un grand monastère cénobitique, dans la région d’Alexandrie, un véritable « ciel terrestre », qui était dirigé par un admirable pasteur doté d’un infaillible discernement. Cette communauté était unie dans le Seigneur par une telle charité, exempte de toute familiarité et de toute parole vaine, que les moines avaient à peine besoin des avertissements de leur supérieur et, de leur propre mouvement, ils s’excitaient mutuellement à une vigilance toute divine. De toutes leurs vertus, la plus admirable, selon Jean, étaient qu’ils s’exerçaient surtout à ne blesser en rien la conscience d’un frère (IV, 15-17). Il fut aussi fort édifié par la visite d’une dépendance de ce monastère, nommée « la Prison », où vivaient, dans une ascèse extrême et dans les démonstrations les plus extraordinaires de repentir, des moines qui avaient gravement péché et qui s’efforçaient de gagner par leurs labeurs le pardon de Dieu. Loin de lui paraître dure et intolérable cette prison était au contraire pour le saint le modèle de la vie monastique. « L’âme en effet qui a perdu sa confiance première, qui a brisé le sceau de sa pureté et s’est laissée ravir les trésors de la grâce, qui est devenue étrangère aux consolations divines, qui a violé son alliance avec le Seigneur, et qui est blessée et transportée de chagrin au souvenir de tout cela, cette âme, dis-je, non seulement se soumettra volontiers à tous ces labeurs, mais sera fermement résolue à se donner pieusement la mort par l’ascèse, si du moins il lui reste encore une étincelle d’amour et de crainte du Seigneur » (V, 24).

Lorsque le saint eut accompli ces quarante années de séjour au désert, tel un autre Moïse, il fut chargé par Dieu de prendre la tête de ce nouvel Israël et devint higoumène du monastère (vers 650) , au pied de la Montagne sainte. On raconte que, le jour de son intronisation, six cents pèlerins étaient présents et, pendant que tous étaient assis pour le repas, on put voir le prophète Moïse lui-même, vêtu d’une tunique blanche, allant et venant, et donnant des ordres avec autorité aux cuisiniers, aux économes, aux cellériers et autres domestiques.

Ayant pénétré dans la nuée mystique de la contemplation, ce nouveau Moïse y avait été initié aux secrets de la Loi spirituelle et, redescendant de la montagne, impassible, le visage glorifié par la grâce, il put devenir pour tous le Pasteur, le médecin et le maître spirituel qui, portant en lui-même le livre écrit par Dieu, n’avait pas besoin d’autres livres pour enseigner à ses moines la « science des sciences ».

L’higoumène de Raïthou (auj. El-Thor), nommé lui aussi Jean, ayant été informé de la merveilleuse manière de vivre des moines du Sinaï, écrivit à Jean pour lui demander d’exposer, de manière méthodique et brièvement, ce qui est nécessaire à ceux qui ont embrassé la vie angélique pour obtenir le salut. Celui qui ne savait pas contredire grava alors, du stylet de sa propre expérience, les « Tables de la Loi spirituelle » . Il présenta son traité comme une Échelle de trente degrés, que Jacob, c’est-à-dire « celui qui a supplanté les passions », contempla tandis qu’il reposait sur la couche de l’ascèse (cf. Gn 28, 12). Dans cette Somme orthodoxe de la vie spirituelle , qui reste à travers les siècles, tant pour les moines que pour les laïcs, le guide par excellence de la vie évangélique, saint Jean n’institue pas des règles, mais, à partir de recommandations pratiques, de détails judicieusement choisis, d’aphorismes ou d’énigmes souvent pleins d’humour, il initie l’âme au combat spirituel et au discernement des pensées. Sa parole est brève, dense et effilée, et elle pénètre, tel un glaive, jusqu’au profond de l’âme, tranchant sans compromis toute complaisance de soi et poursuivant jusque dans leurs racines l’ascèse hypocrite et l’égoïsme. Semblable à celle de saint Grégoire [25 janv.] dans le domaine théologique, cette parole est l’Évangile mis en pratique, et elle conduit sûrement ceux qui s’en imprègnent par une lecture assidue, jusqu’à la porte du Ciel où le Christ nous attend.

Parvenu à un âge avancé, le bienheureux Jean désigna son frère Georges, qui lui aussi avait embrassé la vie hésychaste dès le début de son renoncement, pour lui succéder à la tête du monastère. Lorsqu’il fut sur le point de mourir (entre 650 et 680), Georges lui dit : « Ainsi tu m’abandonnes et tu pars ! Pourtant, j’ai prié pour que tu m’envoies vers le Seigneur en premier, car sans toi il n’est pas en mon pouvoir de paître cette communauté. » Mais Jean le rassura et lui dit : « Ne t’afflige pas et ne te fais pas de souci. Si je trouve grâce devant Dieu, je ne te laisserai même pas achever une année après moi. » Effectivement, dix mois après le repos de Jean, Georges partit à son tour vers le Seigneur.